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L’obsession de la souplesse

La souplesse… elle vous titille énormément, vu les messages que je reçois. Et je comprends mal l’importance qu’on lui donne. Voici le genre de questions que je lis presque chaque jour dans ma boite email : « je voudrais commencer la danse classique mais je ne sais pas faire le grand écart, est-ce que c’est possible quand même ? ». Ou au contraire, « J’ai fait quelques années de gym, j’ai tous mes grands écarts, est-ce que je peux faire de la danse ? ».

Toujours ce mot revient, « grand écart ». Vous savez, dans les cours de danse amateur je vois des gens très peu souples. Des gens qui ne peuvent pas poser leurs mains par terre lorsqu’ils se penchent en avant, qui peinent à élever leur jambe sur la barre la plus basse pour l’exercice de jambe sur la barre… Et ça ne les empêche pas d’apprendre la danse classique.

La danse classique va améliorer progressivement la souplesse, c’est à dire la capacité du corps à bouger de façon plus habile et plus déliée.

La maîtrise du grand écart, elle fait partie de l’imaginaire collectif, on l’associe à la danse… En réalité, peu importe qu’on sache le faire ou pas et à quel point : qu’on soit à 5cm du sol ou à 30cm !

Je suis d’accord que certains mouvements de danse classique demandent de la souplesse et sont plus jolis ainsi : les grands développés, les grands jetés. Si vous avez un professeur qui sait prendre en compte les capacités de ses élèves, il ne vous demandera pas de glisser en écart sur la scène du spectacle de fin d’année ou de faire un grand jeté si votre souplesse ne le permet pas. Et il vous fera comprendre que ces mouvements peuvent être réalisés tout à fait correctement techniquement sans être à l’amplitude maximale des danseuses professionnelles. Un développé peut être très joli à 90°  Laugh

Tout ça pour vous dire que la souplesse est seulement UN élément de la danse, parmi tant d’autres ! Et que la souplesse n’a presque rien à voir avec le fait que vous soyez une belle danseuse ou un beau danseur. La danse classique demande tellement d’autres qualités ! Si vous rayonnez de bonheur en dansant, si vos pas sont propres, si vous êtes musicale, si vous êtes vraiment présente, si vous avez quelque chose à donner à vos spectateurs, alors vous avez déjà tout d’une grande. Bien plus que votre voisine de scène qui se vante de sa souplesse mais qui n’a rien à transmettre, pas même une lueur de plaisir dans les yeux.

Alors on y va, on file en cours de danse avec zéro complexe et on travaille parce qu’on aime la danse et qu’elle nous fait du bien !

Accessoires de danse classique : ils vous promettent souplesse et cou-de-pied

Qu’en est-il vraiment ?

On peut aujourd’hui acheter une grande variété d’instruments destinés aux danseurs et promettant un bénéfice rapide : souplesse, muscles, cou-de-pied…

En voici des exemples :

  • Le « Deuserband » (prononcer à l’allemande, pour ceux qui connaissent) : un cercle de caoutchouc très(très!) résistant, aux multiples utilisations :
  • Le « Flexistretcher »  : un instrument de torture pour maintenir vos positions en place tout en renforçant vos muscles Wink
  • Le « Pro-Arch » : un appareil censé améliorer la force et la souplesse des chevilles :

  • La « Theraband » : une bande de caoutchouc disponible en plusieurs résistances, avec laquelle les danseurs travaillent surtout leurs chevilles.

  • Le « Footstretch » : une tige de bois et une poche en caoutchouc dans laquelle on glisse la pointe du pied pour faire des exercices spécifiques :

Certains de ces produits me font vraiment un peu froid dans le dos. Leur principe consiste à imposer une résistance aux muscles et articulations afin de les faire travailler plus fort qu’en temps normal. La conséquence directe, c’est que le corps force au-delà de ses capacités réelles, sans contrôle, ce qui peut mener à des blessures. Pas forcément au premier usage ! C’est vicieux : par exemple, si vous forcez sur vos chevilles au delà du raisonnable, dans un premier temps vous aurez peut-être l’impression que ça vous fait bien travailler. Et puis un jour, le corps dit stop.

Comme j’ai l’esprit ouvert, je suis allée demander leur avis à une danseuse et un professeur de danse, voici leur réponse :

Laura, danseuse :

« Autant j’ai une confiance mesurée dans le Deuserband (j’en ai un) et dans le Flexistretcher qui me semble être proche du Deuserband, autant je n’ai AUCUNE confiance en l’engin Pro-Arch, pour sa rigidité qui ne me semble pas laisser place à la mesure dont le corps a besoin. De toute façon, concernant le Deuserband, il est nécessaire pour son utilisation d’avoir déjà un entrainement physique important et une connaissance de son corps pour ne pas se tordre dans tous les sens et savoit les limites à ne pas dépasser. Je pense qu’il s’adresse aux professionnels parce qu’il peut faire de sacrés dégâts chez les amateurs ! Pourquoi ? Parce que les professionnels savent que tirer ne sert à rien, il faut savoir renforcer les muscles derrière et faire un travail complémentaire à l’étirement. Alors que nombreux amateurs tomberont surement dans le piège du « ça tire, c’est bien, je suis plus souple » et n’auront plus aucune tonicité dans le muscle. »

Cécile, professeur :

« Pour ma part, j’ai juste un Theraband, dont l’utilisation est proche du Deuserband. J’aime beaucoup la simplicité de ce matériel, on peut l’avoir avec soi tout le temps et l’utiliser pour beaucoup d’exercices d’étirements, mais aussi pour aider au placement. Bien guidée, l’utilisation de ces bandes élastiques est vraiment un plus. De même, je pense que le Footstretch peut donner de bonnes sensations de placement et d’en-dehors du bas de jambe. Cependant cela ne fait pas tout, et doit rester un travail complémentaire, encadré par un professeur qui saura guider les mouvements, ou réservé à des danseurs confirmés et conscients de leur corps. Je pense sincèrement que ce genre d’article ne devrait pas être vendus à de jeunes danseurs amateurs qui pourraient très facilement se blesser.
Enfin, le Pro-Arch ne m’inspire pas confiance, et je pense qu’il peut être un gros leurre quand au travail du pied et au placement du corps. Un article potentiellement dangereux pour ceux qui ne maitrisent pas le placement du corps et les sensations « justes ». »

Le point commun à ces deux avis : ce matériel est fait pour des danseurs professionnels, et certainement pas pour un danseur amateur avec peu d’années de pratique. Il faut savoir qu’à l’origine, certains de ces produits sont utilisés par des kinés pour de la rééducation ; ou encore par des sportifs de haut niveau dans leur préparation physique. Ce sont donc des pratiques entourées par des personnes qui ont une excellente connaissance du corps et de ses limites. Seul chez soi, on risque de mal les utiliser et d’aller trop loin.

Le Footstretch est vendu comme « sûr et testé par des professionnels » : bien sûr, mais ça ne veut pas dire que c’est bon pour tout le monde. Tout comme le Pro-Arch, cela me fait penser à la vieille technique barbare et dangereuse qui consiste à coincer ses orteils sous un canapé et de tendre les jambes au sol pour forcer sa cheville (si votre professeur vous a déjà conseillé ça, ne le faites pas et achetez un Theraband).

Je rajouterai juste que ces appareils se vendent pour certains autour de 100 euros. Si vous souhaitez en acheter, je vous conseille de privilégier les Theraband et le Deuserband, c’est à dire ceux qui ne sont QUE des élastiques, sans partie rigide. Sachant que vous risquez tout de même de perdre votre argent, je vous aurai prévenu Razz

Au fait, une tendinite à la cheville, c’est environ un an d’arrêt total de la danse. Des amateurs ? Evil Grin

Je laisse le mot de la fin à Cécile :

« On ne le dira jamais assez, pour progresser, s’assouplir, ou dévoiler un pied digne de Sylvie Guillem, pas de secret : le travail séreux et assidu (en cours), les relevés et exercices de musculation du pied, les étirements en douceur, et tout cela en conscience de son corps. »